Salaires : être homosexuel se paie.
Pour la première fois en France, une étude démontre que les gays sont victimes d’une nette discrimination salariale.
Par LUC PEILLON
L’homosexualité au travail a un prix, ou plutôt un coût. Et uniquement pour les hommes. D’après une enquête que s’est procurée Libération, et réalisée par deux chercheurs, Thierry Laurent et Ferhat Mihoubi, économistes au centre d’étude des politiques économiques de l’université d’Evry, être gay en milieu professionnel n’est pas sans conséquence sur la feuille de paie. Première étude de ce type réalisée en France, elle permet d’établir que les homos hommes gagnent 6,5% de moins que leurs collègues hétéros dans le secteur privé, et 5,5% dans le secteur public. Et ce «toutes choses égales par ailleurs», c’est-à-dire en comparant des salariés travaillant dans des entreprises de même taille, assurant le même niveau de responsabilité, et forts du même type de qualifications. «Après avoir éliminé tous les biais qui auraient pu fausser les résultats, nous arrivons à un écart de rémunérations que l’on dit “inexpliqué”, explique Thierry Laurent. Sauf à prouver, par exemple, que les gays font plus la fête et sont donc moins productifs au travail, cet écart doit être qualifié de discrimination.» A l’inverse, les lesbiennes ne subiraient aucune différence de traitement. Elles bénéficieraient même d’une légère «prime» (+2%).
Prime de mariage. Surprenants, ces chiffres hexagonaux sont pourtant confirmés par des études similaires réalisées à l’étranger. Ils se situent même dans la fourchette basse des autres enquêtes, menées essentiellement aux Etats-Unis. L’écart de 6,5% dans le privé français peut même être majoré de quatre points si l’on ajoute la «prime de mariage». En effet, le fait d’être marié conduit, en France, à bénéficier d’une rémunération supérieure de 4% par rapport à ses collègues non mariés (10% aux Etats-Unis). Et comme les homos ne peuvent s’unir maritalement, les gays français touchent finalement 10,5% de moins que leurs collègues hétéros mariés. Mais pourquoi donc les gays sont-ils discriminés ? L’explication est malheureusement très prosaïque : si le point commun des membres d’un groupe désavantagé réside dans le fait d’être homosexuel, il n’y a d’autre explication que… l’homophobie. Citant des enquêtes réalisées outre-Atlantique, les auteurs de l’étude française rappellent ainsi que, bien qu’en baisse, la proportion d’Américains «désapprouvant les relations homosexuelles» oscille encore entre 50 et 60% de la population. En France, un sondage CSA réalisé en mars 2009 révélait que 28% des salariés du privé ne se sentent pas «très à l’aise» avec le fait que leur collègue soit homosexuel. Une proportion qui conduit l’employé gay à avoir une chance sur trois de se retrouver sous les ordres d’un chef plus ou moins homophobe. A l’inverse, les lesbiennes ne semblent subir aucune discrimination. Outre le fait que l’homosexualité féminine est moins visible et mieux acceptée par la société, leur statut les conduit à avoir moins souvent d’enfants que leurs collègues femmes hétéros, et donc à être plus disponibles au travail. «L’homophobie qu’elles peuvent subir est compensée par leur plus grande disponibilité professionnelle, qui les conduit à toucher sans doute plus de primes», avance Thierry Laurent, qui regrette qu’il n’y ait «aucune étude en France qui renseigne sur l’orientation sexuelle».
Visibilité. Cet écart de rémunération de près de 6% pour les gays n’est qu’une moyenne. «Si l’on considère que tous ne sont pas “visibles” dans l’entreprise, cela veut dire que ceux qui le sont subissent une discrimination plus importante encore», explique Thierry Laurent. Même chose sur le niveau de qualification. Plus un homosexuel est en position de responsabilité, plus son salaire est amputé comparativement à celui de son alter ego hétéro. Les homos ouvriers ne subissent ainsi aucune discrimination salariale, alors que celle des plus qualifiés dépasse les 10%. Idem concernant l’âge : les moins de 35 ans connaissent -6,7% sur leur feuille de paie quand les plus de 45 ans subissent -11,3%. Là encore, l’explication repose sur la visibilité. «Plus je suis qualifié, plus je suis visible, donc plus je suis discriminé. Même chose pour l’ancienneté», suggère Thierry Laurent.
Une thèse corroborée par les chiffres de la fonction publique, et qui confirment du même coup le caractère homophobe de la différence de traitement salarial. Car si un gay est discriminé dans le privé dès le début de carrière, tel n’est pas le cas pour un homo fonctionnaire. Les gays âgés de moins de 35 ans dans le secteur public ne subissent ainsi aucune discrimination, le recrutement s’opérant le plus souvent sous forme de concours anonymes. Par contre, au-delà de 45 ans, les gays dans la fonction publique connaissent une différence de salaire plus importante encore (-13%) que dans le privé. Comme si la révélation progressive de l’homosexualité, volontaire ou non, produisait son effet discriminant.
Reste que la lutte contre cette discrimination est difficile. «Il faut former et informer les acteurs de l’entreprise, réagit Jeannette Bougrab, présidente de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations. Et au besoin saisir la Halde, qui a ses propres moyens d’investigation.» Et de rappeler que ce type de discrimination est passible de trois ans de prison et 45 000 euros d’amende.
http://www.liberation.fr/economie/0101653218-urbains-diplomes-qualifies-mais-moins-bien-remuneres
http://www.liberation.fr/economie/0101653215-la-tactique-statistique-des-chercheurs
http://www.liberation.fr/economie/0101653216-le-monde-du-travail-est-un-milieu-heteronorme